Par un curieux effet de paradoxe, voilà un nouveau procès, inattendu, instruit contre le dispositif de réponse graduée de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), dont le démarrage, jugé « laborieux », n'enverrait pas assez d'avertissements aux internautes qui téléchargent illégalement.
Voilà donc une institution, à qui on reprochait jusqu'ici d'être massivement « liberticide » et de pourchasser aveuglément tout internaute qui aurait téléchargé une chanson, un film ou un épisode de feuilleton télévisé, attaquée à revers : elle n'enverrait d'avertissements qu'à une petite fraction des potentiels délinquants qu'on lui aurait signalée ! Le « gendarme du Net » désormais accusé d'inertie devant la masse des contrevenants ! Le monde à l'envers !
Qu'en est-il ? Et d'où vient ce subit assaut à contre-courant ? La Commission de protection des droits de l'Hadopi n'est pas un radar automatique. Son rôle est essentiellement pédagogique. Elle est saisie par les ayants droit – les sociétés de perception –, dont les agents assermentés lui adressent des procès-verbaux constatant de possibles infractions. Pour autant, à l'évidence, ces documents n'entraînent pas automatiquement l'envoi en retour d'un avertissement à l'internaute.
De tels envois sont de la responsabilité de l'Hadopi, qui décide ou non de donner suite et d'enclencher ainsi une procédure qui ne relève que d'elle. Nous entendons rester maîtres, à tous les stades de la procédure, des dossiers que nous traitons, de les sélectionner et de ne pas accomplir notre mission en pilotage automatique.
Etablir un ratio entre les saisines reçues des ayants droit et les décisions effectives de la commission n'a pas de sens. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous nous refusons, à ce stade, à communiquer des chiffres. Notre mission n'est pas quantitative, c'est l'évidence, et il est vain de vouloir mesurer l'efficacité du dispositif de protection des droits sur Internet à l'aune du nombre de « contrevenants » épinglés. Cependant, pour couper court à des rumeurs fantaisistes, nous pouvons affirmer que depuis la mise en œuvre effective du dispositif, début octobre, nous avons adressé aux fournisseurs d'accès 100 000 demandes d'identification.
Nous ne sommes pas là pour « faire du chiffre », mais un tel niveau d'activité nous paraît quand même éloquent pour une structure qui ne fait que se mettre en place. Et, de grâce, cessons de faire référence à des estimations qui furent avancées lors du débat parlementaire et qui, précisément, n'étaient que des évaluations très approximatives, sans rapport avec la réalité que nous devons traiter.
Il est vrai, en effet, que la mise en place a demandé du temps. Depuis janvier, il a fallu compléter la loi, déjà elle-même fort complexe, des décrets qui en permettaient l'application. C'est un processus long car il implique de multiples précautions, notamment lorsqu'il s'agit de domaines aussi essentiels que la liberté de communication et la protection des données individuelles. Il a fallu aussi installer et expérimenter un dispositif informatique lourd, pour en assurer l'efficacité et la sécurité.
Il a fallu aussi s'accoutumer à travailler avec des partenaires qu'il faut convaincre que leurs intérêts ne coïncident pas toujours exactement avec la mission de notre commission. Nous ne sommes pas là pour transformer intégralement tout procès-verbal transmis par les ayants droit en avertissement à destination de millions d'internautes. De leur côté, certains fournisseurs d'accès ont hésité à adresser nos avertissements à leurs clients et paraître ainsi se ranger du côté de la loi, à rebours de leur image d'entrepreneurs audacieux, bousculant habitudes et conventions. Il a été nécessaire de trouver avec eux des règles du jeu claires, ce qui est le cas désormais.
Nous avons estimé qu'il nous fallait effectuer une « montée en charge » progressive, en vérifiant à chaque étape le fonctionnement général du dispositif. Le respect des données personnelles est un élément fondamental et nous voulons nous assurer qu'aucune faille ne peut apparaître au fil d'un processus techniquement complexe. La première phase, celle des envois des premiers avertissements, est maintenant assurée dans une ampleur adaptée au contexte et appelée à se développer. Les querelles de chiffrage n'ont guère de sens. Nous sommes prêts, au début de 2011, à traiter, avec les mêmes précautions mais avec la même détermination, la « seconde phase », celle du second avertissement, dans les cas où une infraction serait réitérée.
Au total, en cette fin d'année, qui, pour nous, correspond à peine à trois mois d'activité « opérationnelle », nous estimons que la Commission de protection des droits de l'Hadopi est en état de marche. Nous ne sommes ni une instance de répression aveugle ni une institution impuissante et dénuée d'efficacité. Nous avançons pas à pas, en nous assurant du bien-fondé de chaque dossier. Et nous sommes résolus, en nous inscrivant dans la durée, à aller de l'avant.
Mireille Imbert Quaretta, Jean-Yves Monfort et Jacques Bille