Les déboires de Hadopi 1 et les nombreuses péripéties législatives semblent désormais oubliés. Les premiers mails de recommandation vont être envoyés de façon imminente par la Commission de protection des droits (CPD) de l’Hadopi. Soit un an après le vote par le Parlement de la mouture définitive de la loi Création et Internet. Visant à sensibiliser les internautes au respect de la propriété intellectuelle et aux nouveaux modes légaux de consommation des œuvres, la mise en place de la réponse graduée ne manque pas de susciter diverses interrogations chez un grand nombre d’observateurs. Quels seront ses effets sur les pratiques illégales de consommation des œuvres ? Quel rôle joueront précisément les ayant-droit dans la mise en œuvre de ce système qui découle des accords de l’Élysée ? Non sans préciser que le mécanisme devrait être affiné au fil du temps, la présidente du Collège de l’Hadopi, Marie-Françoise Marais, fait le point sur le rôle et l’action à venir de l’une des plus médiatiques autorités administratives indépendantes.
E.T : Durant l’été, les premières saisines ont été effectuées par les ayant-droit. Où en est leur traitement ?
Marie-Françoise Marais (M-F.M) : Nous sommes en train de nous mettre en marche. Quand je dis nous, je parle du Collège et de la Commission de protection des droits (CPD). Nous sommes une autorité une et indivisible. Mais la décision d’envoyer le premier mail de recommandation appartient à la CPD, qui a effectivement reçu les premières saisines cet été. D’un point de vue légal, elle dispose d’un délai de deux mois pour leur donner ou non suite.
E.T : On a beaucoup évoqué les critères qui seront mis en place par la CPD pour donner suite ou non aux plaintes transmises par les ayant-droit. Quels seront-ils ? La lutte contre le piratage des blockbusters sera-t-elle une priorité ?
M-F.M : Ce qui est certain, c’est que ces critères ne sont pas encore pleinement définis, même si nous avons des idées sur la question. Ils le seront au fur et à mesure de l’examen des dossiers. Il va donc y avoir une période durant laquelle ils seront ajustés. Et, naturellement, il y aura une certaine souplesse et flexibilité au regard des saisines reçues. Toutefois, j’insiste sur le fait que ce ne seront pas des critères discriminatoires. J’ai beaucoup entendu et lu que cela se fera " à la tête du client ". C’est absolument faux ! Quant à connaître la nature des œuvres qui seront traitées par la CPD (ndlr : blockbusters ou œuvres moins grand public), nous attendons d’avoir plus de recul sur les saisines des ayants droit. Ce sont eux seuls qui décideront des œuvres qui feront l’objet des saisines.
E.T : Justement, ce sont les ayants droit qui détermineront si l’utilisation des œuvres est ou non illicite ?
M-F.M : Certains objectent que ce n’est pas juste que ce soit l’ayant droit qui choisisse. De manière générale, les auteurs confient le droit d’exploitation de leurs œuvres aux sociétés de gestion collective. Elles savent donc très bien ce qui est légal ou ce qui ne l’est pas.
E.T : Lors d’un point presse en juin dernier, Mireille Imbert-Quaretta (ndlr : la présidente de la CPD) a bien insisté sur le fait que la Haute Autorité n’était " pas au service des ayants droit ". Qu’entendait-elle délivrer comme message ?
M-F.M : Elle voulait simplement dire que la décision finale de poursuivre ou non appartenait à la CPD et non aux ayants droit. Elle évoquait ainsi le pouvoir d’appréciation de la Commission. Mais cela ne remet nullement en cause l’objectif de protection des ayants droit énoncé dans la loi.
E.T : Les saisines devraient être extrêmement nombreuses. Avez-vous une idée de leur nombre et de leur répartition entre musique et audiovisuel ?
M-F.M : Nous le mentionnerons probablement dans notre rapport annuel qui fournira des statistiques. Mais je rappelle que le nombre de saisines relève de la responsabilité des ayants droit. (ndlr : le chiffre de 50 000 saisines quotidiennes est avancé par les ayants droit). Aucune discrimination ne sera faite selon la nature de ces œuvres.
E.T : Justement, parlez-nous de ces " labs ". Quel sera leur rôle ?
M-F.M : Lorsque Éric Walter nous a rejoint le 1er mars à l’Hadopi, en tant que secrétaire général, il a rapidement soumis cette idée de mettre en place des " labs " animés par des personnalités hautement qualifiées. Cela sur le modèle des laboratoires américains. A travers ces " labs ", qui émergeront au cours du dernier trimestre, nous étudierons des questions précises mais également transversales car une même question peut relever de plusieurs labs. Quoiqu’il en soit, notre objectif est de ne laisser aucun acteur en dehors de cette grande réflexion. Tout le monde sera entendu. Nous ne pouvons pas méconnaître les attentes de certains dans l’utilisation d’internet, ni celles des ayants droit ou des prestataires techniques. J’espère que ces " labs " seront une source d’innovation.
E.T : Des aides financières pourraient également être, à terme, mises en place ?
M-F.M : Le lab " Start up et Business Angels " aura vocation à susciter des nouveaux modèles et vocations auprès d’entreprises. Nous pourrons, dans des modalités à définir, construire des appels à projet pour ceux qui développent des projets et qui ont besoin d’aides financières d’Hadopi. C’est une chose que nous n’excluons pas.
E.T : Une évolution est actuellement observée avec une migration des utilisateurs des réseaux de Peer-To-Peer vers les sites de streaming ou de Direct Download. Vous nous confirmez que ces nouvelles technologies rentrent bien dans le champ de compétence de la Haute Autorité ?
M-F.M : Absolument ! Nous sommes dans un domaine où les technologies évoluent rapidement. La loi Création et internet n’exclut aucune technologie. A l’heure actuelle, les saisines transmises à la CPD concernent il est vrai des pratiques de Peer-to-Peer. Mais, à l’avenir, nous ne nous interdisons rien. Toutes les technologies sont visées par le dispositif, mais également toutes les oeuvres : musique, cinéma, mais aussi livres ou encore jeux vidéo.
E.T : De manière générale, quelle va être la cible prioritaire de la Haute autorité ?
M-F.M : L’objectif de la loi est de faire acte de pédagogie pour attirer l’attention des internautes qui, derrière leur écran, pensent qu’on peut tout faire. Il s’agit de leur faire comprendre que certaines pratiques peuvent occasionner de multiples inconvénients et des effets économiques indésirables pour certaines personnes, comme les auteurs.
Quand on possède un ordinateur et une connexion internet, on doit être responsable de ce que l’on fait, et comprendre qu’il y a des règles à respecter. Si la procédure devant la CPD peut aboutir à des sanctions, il y a en parallèle de cela tout un travail à faire autour de l’émergence des offres légales. Cette mission relèvera notamment des labs que j’ai précédemment évoqués.
Ce que nous devons chercher à atteindre avant tout c’est d’atteindre la grande majorité des utilisateurs qui ont, j’en suis sûre, conscience de leur responsabilité.
L’objectif de la loi est de faire acte de pédagogie pour attirer l’attention des internautes qui, derrière leur écran, pensent qu’on peut tout faire. Il s’agit de leur faire comprendre que certaines pratiques peuvent occasionner de multiples inconvénients et des effets économiques indésirables pour certaines personnes, comme les auteurs. Quand on possède un ordinateur et une connexion internet, on doit être responsable de ce que l’on fait, et comprendre qu’il y a des règles à respecter. Si la procédure devant la CPD peut aboutir à des sanctions, il y a en parallèle de cela tout un travail à entreprendre autour du développement des offres légales.
E.T : Cet été, le dernier décret nécessaire à l’application de la loi Création et internet a été publié. Ce texte a toutefois été attaqué en référé par le FAI FDN. Où en est la procédure ?
M-F.M : Le Conseil d’État doit examiner la semaine prochaine le recours. Nous n’avons pas à nous prononcer sur cette question.
E.T : Certains FAI ont également réclamé cet été de l’argent pour couvrir les frais générés par la mise en place de la réponse graduée. Qu’en est-il actuellement ?
M-F.M : C’est un problème purement gouvernemental dont la responsabilité relève du ministère de la culture et de la communication, et non de l’Hadopi. Quand les Fournisseurs d’accès à internet m’ont posé la question, je leur ai répondu que ce problème ne relevait pas de notre compétence.
E.T : Et quid de la labellisation des logiciels de sécurisation ?
M-F.M :Nous avons confié à un expert (ndlr : Michel Riguidel) une mission pour examiner les possibilités de définir des spécificités fonctionnelles. Un document de travail a été établi et validé par le collège. Et ce " document-projet " a été mis en large consultation auprès des personnes concernées. Les réponses doivent être rendues avant le 10 septembre. Ensuite, un document final sera établi. Par ailleurs, le décret pris sur les mesures de sécurisation doit être soumis à Bruxelles. De manière générale, il me semble bon de rappeler que la loi DADVSI avait elle aussi une obligation de surveillance qui est pourtant passé inaperçue. Cette obligation de surveillance recoupe la question de la responsabilisation des utilisateurs.
E.T : Vous avez communiqué récemment sur les péages d’autoroutes pour sensibiliser le grand public. Quelles vont être les prochaines étapes ?
M-F.M : Le site internet d’Hadopi va être mis en ligne de façon imminente, tout comme le centre d’appel. Ces outils permettront notamment de répondre aux interrogations des personnes qui reçoivent une lettre de recommandation. D’autres opérations vont également avoir lieu prochainement y compris auprès des jeunes.
Interview publiée dans l'édition du 1er septembre 2010.